Le collège à l’ère du Covid-19

On ne pouvait pas reprendre l’année comme ça…
Ecriture post confinement
On ne pouvait pas reprendre l’année comme ça… En faisant comme si de rien… Comme s’il ne s’était rien passé depuis le 13 mars. Comme si tout était normal. La fin de l’été. L’odeur de craie. Les cartables bien rangés. On ne pouvait pas… Alors, avec les élèves, on s’est retroussé les manches et les souvenirs, on s’est plongés dans nos six mois de vie anormale et on a écrit.
Des textes rédigés à la manière de Régine Vandamme dans Ma Voix basse (Editions Le Castor Astral, 2004). Des listes réalisées à partir de verbes répétés.
Trois verbes. Trois textes.
– Me manque(nt)… (tout ce qui me manque d’avant le 13 mars)
– Je laisse (tout ce que j’abandonne d’avant le 13 mars, dont je n’ai plus envie/besoin)
– Je garde (tout ce que je garde de positif de cette période de confinement)
Et les mots surgissent et les langues se délient. A travers cet exercice d’écriture, chacun se trace un sentier, se confronte à ses peurs, ses chagrins et ses joies.
Et lors du partage oral des textes, l’émotion est palpable. Le personnel, l’intime même, se révèlent rassembleurs et universels. Nous avons vécu séparés mais nous avons vécu la même traversée. Et cette fraternité en chemin nous console et nous rassure.
Voici un triptyque de textes cousus à partir de toutes les productions des 79 élèves de l’option littéraire (4ème, 5ème et 6ème années confondues).
Violaine Lison, Margaux Lauwaert et Michèle Verschueren
Me manque(nt)…
Me manque le temps d’avant. Ma vie d’avant.
Me manquent les visages. Les joues. Les bouches. Les mentons. Les moustaches, les dents qui scintillent au soleil. Les lèvres gercées par le froid, ou mordues d’inquiétude. Me manquent les bras doux de mon grand-père. Sentir son cœur battre contre le mien. Me manquent les câlins, les baisers. Les gestes qui réchauffent le cœur et apaisent l’âme.
Me manquent les mains de ma grand-mère aux doigts de fée.
Me manquent les réunions de famille qui se terminent tard dans la nuit. Les fêtes où ça danse et ça chante.
Me manque mon esprit libre.
Me manque la liberté de vivre ma jeunesse à fond.
Me manque de bouger de ville en ville sans destination et d’observer les paysages. Partir, s’enfuir, loin, sans rien, à l’improviste. Découvrir de nouveaux visages, de nouveaux sourires, de nouveaux territoires.
Me manque le fait de pouvoir respirer autre chose que mon propre air expiré.
Me manque de ne pas avoir les mains qui puent à cause du gel.
Me manque l’insouciance d’une vie simple. Ma naïveté qui, parfois, s’affranchissait de la réalité.
Me manquent la spontanéité, l’improvisation. L’option de pouvoir faire les choses à la volée.
Me manquent les rires des passants tard le soir dans ma rue.
Me manque la simplicité d’un visage heureux. La vie à l’état brut.
Me manque de prendre mes amis dans mes bras.
Me manque les tapes amicales pour dire bonjour. Les longues embrassades. Les bousculades.
Me manque ce sentiment de sécurité, d’invulnérabilité qui jusque-là berçait ma vie. La sensation d’être protégée quoi qu’il arrive.
Me manquent les déguisements de carnaval, les soirées rhéto, les chapiteaux !
Me manquent les mains qui se tiennent. Les doigts qui s’entrecroisent. La chaleur de la peau.
Me manquent les cookies de mamie. Me manque tout simplement mamie.
Me manque une sœur, une confidente partie un peu plus loin vivre sa vie d’étudiante.
Me manquent les yeux sans larmes.
Me manquent les voyages loin de tout.
Me manque ton sourire disparu à cause d’un bout de tissu.
Me manquent les petites rues bondées, l’odeur du mojito et la convivialité des terrasses.
Me manquent les spectacles de théâtre. Ceux qui touchent et bousculent. Ceux qui serrent la gorge et le cœur.
Me manquent les concerts, l’impatience avant que la musique nous envole, les corps qui se pressent dans la fosse, les pogos, les étoiles dans les yeux des spectateurs.
Me manque le bonjour des passants. Me manquent les discussions nocturnes, au coin de la rue, avec un inconnu. Sans appréhension ni arrière-pensée. Me manquent les rires des enfants dans les jardins publics. Me manquent les autres.
Me manque toi. Oui… toi. Me manque tout de toi.
Je laisse…
Je laisse l’anxiété, la boule au ventre. Je laisse les journaux télévisés et les médias mal renseignés. Je laisse les informations flippantes.
Je laisse ma soif de vouloir être parfaite. Je laisse mon réveil éteint. Je laisse ma routine.
Je laisse les week-ends écrans. Je laisse le stress paralysant. Le manque de confiance qui m’empêchait d’avancer correctement.
Je laisse les embrouilles, les prises de tête et les disputes futiles. Les amitiés en l’air.
Je laisse la peur. La peur des autres. La peur de vivre. La peur d’oser.
Je laisse les non-dits, les secrets. Je laisse les sables mouvants qui m’empêchent d’avancer.
Je laisse mes mauvaises habitudes. Je laisse les journées négatives et celles sans fin. Je laisse les disputes qui finissent par des pleurs.
Je laisse les amours compliquées, qui brisent le cœur.
Je laisse les insomnies.
Je laisse le summer body et le rééquilibrage alimentaire.
Je laisse la course au plus courageux, à celui qui l’aura vécue le mieux. Je laisse les disputes et la rancœur ou les regrets, la vie est trop courte, je le sais.
Je laisse les critiques et les mauvais regards. Ils ne m’atteindront plus.
Je laisse les mensonges, les insultes qui blessent.
Je laisse ceux qui ne veulent plus de moi.
Je laisse ma colère. Celle qui arrive sans prévenir.
Je laisse les barrières et les idées reçues. Place à mes rêves !
Je laisse le besoin de vouloir être occupée tout le temps. Je laisse la pression.
Je laisse une partie de cette fille un peu trop calme pour tenter des choses.
Je laisse les grands rassemblements anonymes bondés d’inconnus auxquels nous sommes collés.
Je laisse les grandes surfaces pour les petites enseignes, les marchés. Je laisse mes sorties shopping.
Je laisse la flemme (elle prend trop de place dans ma vie).
Je laisse ma paresse et ma procrastination (enfin… je m’en débarrasserai demain…)
Je laisse mes hésitations au téléphone ou avant de commander un plat au restaurant.
Je laisse les rivalités inutiles et cette jalousie qui me paraissait indomptable avant.
Je laisse les personnes toxiques et pessimistes qui pensent que je n’y arriverai pas
Je laisse les gens qui me disent de parler moins fort, de disparaître pour ne pas déranger.
Je laisse les faux amis qui m’ont planté un couteau dans le dos. Ceux qui viennent parler avec toi quand ils ont besoin de ton devoir.
Je laisse tous ceux qui ne veulent pas être dans ma vie.
Je laisse mon envie de lui plaire, de leur plaire, parce qu’au final c’est à moi que je dois plaire !
Je laisse la fille fragile qui a peur de tout, qui se cache derrière ses gros pulls. La fille brisée qui avait peur de vivre.
Je laisse derrière moi ce gentil garçon qui pleurait pour une fille. Ce cœur fragile qui maintenant est fait avec les meilleures briques du Portugal.
Je laisse de nombreux remords que je trimballe depuis maintenant plusieurs années.
Je laisse ma timidité, mes éternels moments de doute.
Je laisse ma culpabilité pour des événements dont je ne suis pas responsable.
Je laisse le temps réparer les conséquences.
Je laisse le temps d’une ancienne moi.
Je garde…
Je garde la complicité avec mes frères.
Je garde les mots rassurants de mes parents.
Je garde l’amour.
Je garde l’espoir que c’est juste un mauvais passage.
Je garde les sanglots partagés, ceux qui libèrent et rapprochent. Je garde les larmes. Je garde ce qu’il me reste. Je garde la nuit. Je garde un peu de mon âme d’enfant. Je garde la solitude, par moment. Je garde le silence, celui qui répare.
Je garde les balades à vélo au hasard des routes et des sentiers, sans savoir où aller.
Je garde la nature qui reprend le dessus. Les oiseaux. Les lièvres. Les coquelicots.
Je garde mon sens des responsabilités.
Je garde ma soif d’apprendre.
Je garde la pêche. La banane.
Je garde les journées entières en compagnie de mon chat.
Je garde le plaisir de retrouver mes anciens dessins. De les contempler et de me dire que j’ai avancé… même si c’est d’un chouia…
Je garde de pouvoir choisir. Je choisis de garder.
Je garde la franchise, la bienveillance et l’amour. Oui… Je garde l’amour !
Je garde le coucher de soleil en face de ma chambre.
Je garde la joie des grandes retrouvailles.
Je garde les parties de jeux vidéo contre ma sœur même si elle est mauvaise perdante.
Je garde les soirées « jeux de société » avec mes parents et les discussions qui débordaient sur la nuit.
Je garde la solidarité. Cette voisine qu’on ne connaît pas et qui vient nous apporter des pommes.
Je garde le temps où rien ne presse, où personne ne nous attend.
Je garde le sang chaud. Je garde la tête haute et je garde à vous !
Je garde les liens tissés avec de nouvelles personnes. Je garde ma sérénité et ma joie de vivre.
Je garde mon nouveau regard sur les gens et sur le temps qui passe.
Je garde ces jours de réflexion qui m’ont fait grandir et mûrir, qui m’ont fait comprendre que la vie peut basculer à tout moment.
Je garde ma prudence qui me rappelle que je ne suis pas invulnérable.
Je garde les après-midis pâtisserie.
Je garde mon envie de cuisiner pour les autres.
Je garde secrète la recette des crêpes au rhum de ma grand-mère.
Je garde les vidéos de danse et de karaoké échangées avec les copines.
Je garde les longues promenades avec mon chien.
Je garde les longues promenades seule le long de l’Escaut.
Je garde le vélo, mon copain d’évasion, qui m’a permis de découvrir Tournai.
Je garde l’envie d’avancer.
Je garde le temps de prendre le temps.
Je garde les réveils calmes avec de la musique plutôt qu’une alarme. L’odeur du café et des croissants chauds.
Je garde les nouvelles rencontres. Je garde les amitiés qui sont nées et celles qui se sont renforcées.
Je garde le bonheur de vivre chaque instant et d’en profiter pleinement comme si c’était le dernier. Je garde les réflexions pour une vie plus saine.
Je garde mon envie de changer les choses.
Je garde le travail effectué sur moi-même.
Je garde mes petits moments rien qu’à moi. Lire, écrire, dessiner…
Je garde mon innocence, ma conscience d’être en vie, d’être importante et aimée, même si parfois le doute a raison de moi.
Je me garde debout parce que j’y crois.
Je me garde moi. Vivante.
Vivante.
Les 79 élèves de 4ème, 5ème et 6ème en option littéraire